La Cour de cassation poursuit son incursion dans le pouvoir « souverain » d’appréciation des juges du fond en censurant une Cour d’Appel qui n’a pas procédé à l’analyse des pièces médicales du salarié pour déterminer si elles laissaient présumer l’existence d’un harcèlement moral.
En l’espèce, un salarié désigné délégué syndical a saisi une première fois le Conseil de Prud’hommes pour discrimination syndicale et attribution d’une prime de performance.
Seule cette prime lui fut accordée la décision étant confirmée par la Cour d’appel.
Quelques mois après le premier arrêt, il a de nouveau saisi la juridiction prud’homale pour harcèlement moral et entrave.
Puis 3 ans plus tard, après autorisation de l’inspection du travail, l’employeur lui a notifié son licenciement pour inaptitude médicale consécutive à de nombreuses absences pour maladie et notamment après la seconde saisine du Conseil de Prud’hommes.
A l’issue, celui-ci a même été reconnu invalide deuxième catégorie.
La Cour d’Appel déboute le salarié de ses demandes en paiement de dommages-intérêts pour harcèlement moral.
La Cour retient notamment que le salarié ne démontre pas que les travaux qui lui étaient confiés lui étaient dévolus dans l’unique but de le harceler.
Elle relève que la situation qu’il décrit trouve son origine dans une réorganisation, que si ces changements de tâches nécessités par l’évolution de l’environnement juridique, économique et social et la nécessaire adaptation à cet environnement ont pu occasionner du stress chez l’intéressé, ont conduit à modifier ses habitudes tout comme chez les autres salariés, ces changements au demeurant cantonnés dans le temps ne peuvent s’analyser en faits répétés de harcèlement moral.
Plus précisément selon la Cour, partager son bureau avec un collègue n’ayant pas les mêmes qualifications ne présentait pas de caractère dégradant ou attentatoire à la dignité.
Elle ajoute par ailleurs qu’il ne pouvait à la fois refuser de se présenter à des entretiens d’évaluation et se prévaloir d’une note établie de manière non contradictoire hors sa présence.
La Cour d’Appel s’attache ainsi à la grille des critères légaux (article L 1152-1 du Code du Travail) qui prévoit la démonstration d’agissements répétés de harcèlement moral, d’une dégradation des conditions de travail ayant pour objet ou pour effet d’altérer la santé physique ou mentale du salarié.
Autrement dit, elle suit une grille d’analyse basée sur la recherche du lien de causalité entre les faits invoqués par le salarié et la détérioration de son état de santé.
La Cour de cassation ne l’entend pas ainsi.
Tout d’abord, dans le prolongement de l’arrêt du même jour précédemment commenté ( Cass soc 15 novembre n°10-18.417), la Cour de cassation rappelle que si l’autorisation de licenciement accordée par l’autorité administrative ne permet plus au salarié de contester la cause ou la validité de son licenciement en raison d’un harcèlement, elle ne le prive pas du droit de demander réparation du préjudice qui est résulté du harcèlement moral.
Mais quoique ce principe soit important, l’intérêt de l’arrêt est ailleurs.
La Cour de cassation « enfonce le clou » concernant le contrôle qu’elle s’est arrogé en matière harcèlement moral.
Depuis un arrêt du 10 nov. 2009, no 07-45.321, la Cour de cassation a en effet consacré le harcèlement institutionnel rendant superflue la caractérisation des agissements répétés de harcèlement en présence d’une organisation de travail dite « pathogène ».
Puis elle a rappelé que « l’employeur est tenu d’une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, manque à cette obligation lorsqu’un salarié est victime, sur son lieu de travail, de violences physiques ou morales exercées par l’un ou l’autre de ses salariés, quand bien même il aurait pris des mesures en vue de faire cesser ces agissements » (Cass soc 29 juin 2011 n°09-69.444 voir également 19 octobre 2011 09-68.272).
La Cour de cassation s’est ensuite attaquée aux règles de preuve en faisant une lecture très rigoureuse de l’article 1154-1 du Code du Travail.
L’article L. 1154-1 du Code du travail prévoit que le demandeur doit établir les faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement.
Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas du harcèlement.
Enfin le juge forme son intime conviction.
La Cour de cassation sur cette base estime que le juge du fond doit appréhender dans leur ensemble les faits établis par le salarié (Cass soc., 25 janvier 2011, no 09-42.766).
Ainsi, la Cour de cassation a censuré une Cour d’Appel qui avait débouté une salariée au motif que les pièces qu’elle produisait (des courriers échangés avec son employeur et des certificats médicaux) ne permettaient pas de faire présumer l’existence d’un harcèlement à son encontre, sans tenir compte de l’ensemble des éléments qu’elle établissait (Cass. soc., 24 sept. 2008, no 06-45.747 ; Cass. soc., 24 sept. 2008, no 06-45.794, voir également Cass. soc., 24 sept. 2008, no 06-45.579).
Si l’on en revient maintenant à l’espèce analysée, la Cour de cassation relève par un « attendu » qui est désormais un classique du genre, que lorsque le salarié établit la matérialité de faits précis et concordants constituant selon lui un harcèlement, il appartient au juge d’apprécier si ces éléments pris dans leur ensemble permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral.
Dans l’affirmative, il incombe à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Or, selon la Cour de cassation, la Cour d’Appel, en exigeant du salarié qu’il démontre que les agissements imputés à l’employeur avaient pour unique but de le harceler et sans analyser les documents médicaux produits par l’intéressé, afin de vérifier s’ils permettaient de présumer l’existence d’un harcèlement, la Cour d’appel a privé sa décision de base légale.
Autrement dit, les pièces médicales constitueraient le levier permettant de rejeter la charge de la preuve sur l’employeur.
Manifestement, le salarié évoquait d’autres faits mais le dernier attendu est tout de même ambigu sur la portée des pièces médicales.
La conclusion de cet arrêt a de quoi inquiéter les employeurs.
Reste à souhaiter qu’il ne faille pas en déduire que les pièces médicales à elles seules pourraient suffir à caractériser un harcèlement moral.
Comment les employeurs pourraient-ils établir en retour, si la présomption de harcèlement moral résulte des seules pièces médicales, que la détérioration de l’état de santé résulte de causes étrangères au travail sachant que par définition ils n’ont aucun accès à la sphère intime du salarié ?
A suivre ….